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EU, c’est où ?

Petite ville de 8.500 habitants à mi-route entre Dieppe et Abbeville, donc à la frontière de la Normandie et de la Picardie.

La plupart des participants à cette journée ne connaît pas la ville d’EU. A trois kilomètres de la mer, la ville d’EU est surtout connue par les amateurs de mots croisés sous la définition de « trou normand » ou « canton normand ».

EU est aussi connue grâce à sa proximité de Paris (175 km) avec ses villes sœurs du Tréport (Seine-Maritime) et Mers-les-Bains (Somme), les deux stations balnéaires que les Parisiens, aux congés payés de 1936, rejoignaient en vélo, tandem et train.

Pourquoi la ville d’EU a-t-elle été choisie pour la journée AARB ? Parce qu’en se référant à son patrimoine archéologique et architectural, de par son nombre de sites et monuments classés ou répertoriés aux Monuments historiques, EU vient en deuxième place après Rouen pour la Seine-Maritime.

Visite de la collégiale Notre-Dame et Saint Laurent O’Toole

Sur l’emplacement d’une église romane à la fin du 12ème siècle, une crypte a été construite dans le style fin roman-début gothique pour abriter les reliques de Saint-Laurent O’Toole, archevêque de Dublin et légat du pape. Il venait d’Irlande pour rencontrer Henri II Plantagenet à Rouen, afin de défendre la cause des catholiques irlandais. En 1180, il meurt de vieillesse et d’épuisement à EU, dans l’abbaye. Il est béatifié six ans après sa mort, puis canonisé en 1225, suite à des miracles.

Cette crypte de 31 mètres de longueur sert d’église pour que les pèlerins, en attendant la construction de la collégiale, se recueillent sur sa sépulture.

Donc cette crypte contient un des plus anciens gisants de France (12ème siècle). Maintenant d’autres sarcophages et gisants des comtes d’EU, de la famille d’Artois y demeurent ainsi qu’un ossuaire contenant tous les ossements profanés par les révolutionnaires après avoir été prélevé dans les tombeaux et jetés par les soupiraux de la crypte.

La voûte de la collégiale s’élevant à 21 mètres, afin de respecter le nombre d’or (1,618033), la largeur de l’édifice est de 13 mètres. Longue de 80 mètres, cette église de style gothique primitif est remarquable par sa luminosité car les colonnes sont d’une seule envolée, sans chapiteaux, ce qui, visuellement, augmente les proportions et en font un joyau de l’art pré-gothique franco-normand.

Visite de la chapelle du collège

Chapelle de style « jésuite » construite entre 1620 et 1624 en briques et pierres blanches, mélange de style Renaissance et Louis XIII, Catherine de Clèves la fit construire à côté d’un collège de jésuites que Henri de Guise, son deuxième mari, implanta à EU vers 1582. Elle souhaitait abriter dans cette chapelle un mausolée à sa mémoire : il était le 23ème comte d’EU et était surnommé « le Balafré ».

Ce cénotaphe est surmonté de deux très belles statues en marbre blanc, l’une représentant le duc de Guise couché en habit de guerre sur un lit de repos ; l’autre statue le représente en prière, à genoux sur un prie-Dieu. En vis-à-vis dans le chœur, l’autre mausolée est celui de Catherine de Clèves et sur la statue la représentant, couchée en habit ducal, la tête reposant sur la main droite… et sur la joue gauche, une veine dans le marbre faisant apparaître une balafre… rappelant l’ironie du sort qui avait fait que, de son vivant, son mari avait reçu une blessure qui lui avait valu son surnom.

Le sculpteur en mourut de désespoir, raconte la légende. Le père Bourdaloue, jésuite, préfet des études au collège, prêchait aux offices dans cette chapelle, et c’est à raison de la longueur de ses sermons que les dames de l’époque utilisaient sous leurs larges jupes, quand besoin était, le « bourdalou » (petit pot de chambre).

Depuis le 20ème siècle, cette très jolie chapelle, très lumineuse, est désaffectée du culte et sert à des expositions, salons, concerts…

Musée de la tradition verrière

Dans les bâtiments d’une ancienne caserne de cavalerie, construite sous Louis Philippe pour sécuriser les deux visites de la reine Victoria au château d’EU, afin de sceller l’entente cordiale en 1854, une équipe d’anciens verriers passionnés de ce métier et collectionneurs y entreposent de vieilles machines désuètes retirées des verreries.

Ainsi naquit une importante et passionnante rétrospective des différentes évolutions de cette profession.

Pline l’Ancien raconte : « des marins phéniciens ayant allumé un feu sur le sable siliceux d’une plage et en le protégeant du vent avec des blocs de soude, quelle ne fut pas leur surprise, une fois le feu éteint, de voir sur le sol un bloc plat, transparent, dur et brillant… »

Légende ou pas ? Il y a 6.000 ans, les Romains possédaient la technique de la fabrication des perles en verre multicolore.

Il y a 2.000 ans, grâce à un long et fin tuyau métallique creux, naquit la technique de soufflage du verre. Par une rotation de cette canne, le verrier « cueille » dans le creuset du four une boule de verre et, par des soufflages à la bouche alternés avec des balancements de la canne pour refroidir la pâte de verre, un récipient se forme.

Ce soufflage à la canne est remplacé au 19ème siècle par des machines semi-automatiques qui insufflent de l’air comprimé lorsque la goutte de verre liquide est dans un moule.

Puis, en 1930, les machines deviennent entièrement automatiques et au bout du tapis après la deuxième cuisson dans « l’arche » les bouteilles sont prêtes à l’empaquetage.

Et à ce jour, grâce à la robotisation, empaquetage, mise sur palettes et stockage sont réalisés sans intervention humaine.

Tous ce processus, aux différentes époques, sont parfaitement mis en situation dans cet intéressant musée.

En complément de cette visite, la projection d’un film sur le verre se déroule dans la salle où sont exposés les plus beaux spécimens de flacons destinés aux grands parfumeurs, fabriqués dans les verreries de la Bresle. Au niveau mondial, 85 % des flacons (haut de gamme) pour parfum de luxe sont produits dans cette vallée où la rivière qui passe à EU et sépare la Normandie et la Picardie est le premier pôle mondial de la verrerie de luxe.

La collection de verrerie de luxe de ce musée des traditions verrières s’enrichira prochainement de milliers de flacons de la collection GUERLAIN, léguée à la ville d’EU par la descendance de la famille.

En nous rendant au restaurant à Mers-les-Bains, nous longeons la verrerie Saint-Gobain Desjonquères, dans laquelle 1300 salariés produisent en 24 heures 4 millions de flacons et ce 365 jour par an.

Le repas a lieu au « Bellevue » en front de mer, sur l’Esplanade de Mers-les-Bains, avant de reprendre les voitures pour EU, ce qui permet de voir les villas du front de mer, classé site sauvegardé depuis 1986. Elles sont toutes de style « art déco » et « art nouveau », ce style « nouille » de la fin du 19ème siècle et début 20ème qui bannissait la ligne droite.

Nous observons aussi les travaux de lutte contre la mer, qui sans cesse érode le pied des falaises de craie hautes de 100 mètres, et qui envahit la ville lorsqu’il y a conjugaison de grandes marées et de tempêtes d’ouest (enrochement du pied des falaises : épis perpendiculaires à la mer pour stopper la migration des galets vers la Baie de Somme et murets concaves pour faire retomber les vagues.

Le château d’EU – musée Louis Philippe

Il est probable que lorsqu’en 1050, Guillaume le Conquérant épouse, au château d’EU, Mathilde de Flandres, ce mariage se soit déroulé dans une forteresse bâtie sur le tertre où maintenant se dresse la collégiale et, depuis 1578, le château actuel construit à la demande de Catherine de Clèves, comtesse d’EU, et de son deuxième mari Henri de Lorraine (3ème duc de Guise, surnommé « le Balafré » rappelons-le).

Le plan prévoyait un vaste château en U ; seule a été construite l’aile ouest qui est le château actuel.

A la fin du 17ème siècle, en 1663, lorsque la Grande Mademoiselle, Duchesse de Montpensier, comtesse d’EU, cousine de Louis XIV mais indésirable à la cour en raison de ses amours tumultueuses avec le duc de Lauzun, séjourna au château, elle créa le jardin et fit construire un pavillon octogonal au fond du parc vers le Tréport (ce pavillon resté propriété des Orléans-Bragance était occupé par la comtesse de Paris lorsqu’elle séjournait à EU dans la deuxième partie de sa vie et jusqu’à sa mort en 2003).

Par héritage, ce domaine passa en 1821 à Louis Philippe d’Orléans, futur roi des Français, qui reçut la reine Victoria deux fois en 1843 toujours pour sceller l’Entente cordiale avec l’Angleterre.

Entre 1874 et 1879, le premier comte de Paris (petit-fils de Louis Philippe) chargea Viollet-le-Duc d’aménager et décorer le château.

En 1902, un incendie endommagea la toiture et le château fut restauré par Gaston d’Orléans, dernier comte d’Eu et grand-père de la comtesse de Paris (Isabelle d’Orléans-Bragance qui naquit à EU).

Ensuite, par les Orléans-Bragance, dont l’un des membres épousa la fille de l’empereur du Brésil, le château devint propriété brésilienne, ce qui lui valut d’être protégé par les Allemands durant l’Occupation entre 1940-44, le Brésil étant pro-allemand.

Après avoir été acheté par le département, la ville d’EU en devint propriétaire en 1964 et y installa en 1973 la mairie et un musée pour recueillir les souvenirs des princes d’Orléans, notamment Louis Philippe, roi de France qui avait fait au château se résidence d’été.

En plus des meubles datant de Louis Philippe et des décorations entreprises par Viollet-le-Duc en 1874, depuis 2001 quarante-six tableaux dispersés en Europe sont revenus au château, certains étant encore en voie de restauration.

La visite s’est terminée par une promenade dans le parc sous le soleil et un pot de l’amitié au « Victoria ».

Tous les participants ont été ravis de connaître EU, ce trou normand !

Et savent que les Eudois, surtout lorsqu’ils parlent du premier magistrat de la commune, pour être polis, précisant « maire (de la ville) d’EU ».

Merci à mon ami Gérard Denis, habitant de la ville d’EU, qui a rédigé l’histoire de sa ville pour nous tous.

François BLONDEL