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2024-04-30 17:43

LE DEFI GRANDEUR NATURE DU CHATEAU DE GUEDELON

(Article de Claire Bommelaer, paru dans le Figaro du 9 juin 2017)

Soixante-dix personnes s’investissent depuis vingt ans dans un projet fou : construire un château selon les méthodes du XIII° siècle. Une performance qui attire de très nombreux visiteurs.

            Il y a vingt ans, le site était une ancienne carrière de grès ferrugineux, en forêt de Treigny. Aujourd’hui, le chantier du château de Guédelon, en Bourgogne, grouille de monde et une noria de cars est garée sur le parking. Projet dément, au sens premier du terme, la construction d’un château fort, selon les techniques du XIII° siècle, est devenue une attraction touristique majeure en France. 300.000 visiteurs s’y rendent chaque année, attirés par une performance qui n’est pas tant patrimoniale qu’humaine.

            Les enseignants, qui trouvent là une occasion en or d’intéresser leurs ouailles au Moyen Age, figurent parmi les premiers fans. On voir également des têtes chenues, émues de retrouver les gestes d’antan des forgerons ou des vanniers, des familles en pagaille.

800.000 tuiles façonnées à la main

            Toute l’économie d’un château fort – forgerons, bûcherons, menuisiers – est rassemblée du ce site de 15 hectares. Le public raffole de la vision de ces deux hommes marchant comme des hamsters dans des roues géantes en bois : leur marche sans fin entraine un système de poulies permettant d’acheminer les blocs de pierre.

Plus loin, on taille le grès avec un burin – le geste use, parait-il, les coudes. Le bruit émis, que l’on devine ancestral, est régulier. Des menuisiers rabotent des troncs d’arbre en vue de monter la charpente – sans machine – « Il faut avoir d’œil et accepter de jouer avec l’irrégularité du bois », raconte l’un de ces artisans ».

            De même 80.000 tuiles auront à terme été façonnées à la main et cuites à 1.000 degrés dans un four (l’une des autres grandes attractions aux yeux du public). Près de la rivière, on a construit un moulin hydraulique à farine.

            Tout le monde, ici, porte une chemise rappelant celles portées au Moyen Age, conférant au chantier un petit air baba cool. Il faut avoir l’œil pour repérer des chaussures de sécurité à bout renforcé, concession faite aux normes de sécurité.

            « Le travail des artisans est un spectacle mais nous sommes l’anti Disneyland », affirme Maryline Martin, directrice et co-fondatrice du projet avec Michel Guyot, propriétaire de plusieurs châteaux « car tout est au service de la construction du château ».

            Dans leur contrat, les salariés sont tout de même qualifiés « d’animateurs ». Ils se doivent d’expliquer leur travail aux visiteurs, y compris lorsque 5.000 personnes défilent dans une journée. Et même en cas de chaleur abrutissante ou de « coup de bourre ».

            Au bout de vingt ans, et avec quelques années de retard sur le calendrier initial, l’édifice possède déjà une charpente, une grande salle, deux chambres et une chapelle. Deux tours sont sur le point d’être érigées, ainsi qu’un pigeonnier. A terme, la demeure est censée être celle d’un seigneur contemporain de Jean de Toucy, qui vécut dans la région et partit en croisade.

Mission d’observation

            Son allure a été pensée par un comité nanti d’un historien et d’archéologues. Chaque décision – taille de la croisée d’ogive, décors des chambres – fait l’objet de discussions. « Nous étudions les autres châteaux comme ceux de Dourdan, de Ratilly », explique Florian Renucci, maitre d’œuvre du chantier depuis le premier jour. « Puis nous prenons des options. »

            Plusieurs sites patrimoniaux, dont la cathédrale de Paris ou celle de Bourges, ont vu débarquer, un jour, « ceux de Guédelon » en mission d’observation.

            En principe, la dernière pierre sera posée dans cinq ans, voire plus. Les dates dans le fond n’ont pas d’importance puisque la durée du chantier fait aussi son sel. Certains visiteurs reviennent régulièrement pour voir l’évolution des travaux. Dans la région, il y a même une « génération Guédelon », qui a grandi au rythme de ses murs.

            Le monde patrimonial, quant à lui, considère l’initiative avec un mélange d’attraction répulsion. Il a d’abord regardé l’aventure de loin, d’autant que les équipes de Guédelon ont-elles-mêmes largement douté de la marche à suivre les premières années. « Il y avait une forme de mépris bien parisien, affirme Florian Renucci. On n’a d’ailleurs pas vu beaucoup de ministres à Guédelon ».

            Mais la recette gagnante du site fait désormais fantasmer et l’on vient de loin pour savoir comment s’y prendre pour attirer autant de public sans devoir harceler l’Etat ou les élus locaux pour un peu d’aide. Guédelon est une formidable machine de guerre économique. Le chantier a démarré avec du mécénat, notamment de la Fondation EDF. Vingt ans plus tard, il s’autofinance grâce aux entrées (15 Euros pour un plein tarif) et une boutique très bien achalandée. Le chiffre d’affaires tourne autour de 4 millions d’Euros. « Nous ne percevons aucune subvention, et nous n’avons ni Dieu ni maitre » se félicite ainsi Maryline Martin. Rares sont ceux, dans le giron de la Culture, qui peuvent en dire autant.