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LES BIOCARBURANTS OU AGROCARBURANTS

(Texte préparé pour un exposé devant le groupe Obseco de l’association RAMM (février 2020) – Diffusé sous forme papier compte tenu du confinement)

Les énergies renouvelables occupent actuellement le devant de la scène. Elles prennent leur source dans des éléments naturels tels que l’eau (barrages hydroélectriques), ou l’air (éoliennes).

L’énergie du soleil peut être piégée à l’aide de panneaux photovoltaïques. Mais il est une autre façon de capter cette énergie : la fonction chlorophyllienne (dont nous avons tous entendu parler en classe de 5ème). Il y a photosynthèse de molécules à partir de carbone et d’eau grâce à l’énergie lumineuse du soleil et donc production de végétaux.

Lorsque l’on coupe un arbre et que l’on brule des buches dans sa cheminée, c’est une façon de récupérer la puissance du soleil.

Il est toutefois des formes plus modernes de récupération : les bio-carburants ou agro-carburants obtenus à partir de produits agricoles et dont je vais vous parler maintenant.

1 Tout d’abord ceux qui sont obtenus par la transformation d’huiles et de graisses et qui sont destinés aux moteurs diesel ;

2 Ensuite ceux qui sont obtenus à partir de sucres et d’amidon et qui sont incorporés à l’essence.

A – LE BIO-DIESEL OU DIESTER

Les corps gras, huiles ou graisses liquides, peuvent être versés en l’état dans les réservoirs des véhicules Diesel et le moteur fonctionnera normalement sauf qu’assez vite il pourra s’encrasser. En France, seuls les agriculteurs et les marins pêcheurs sont autorisés à cet emploi.

A ce propos, une anecdote : il y a un certain nombre d’années, les rues de Londres se sont mises à sentir la friture ; on s’est aperçu que de petits malins versaient dans leur réservoir des huiles usagées provenant des boutiques de fishs and chips.

Il est de loin préférable de pratiquer ce que l’on appelle une transestérification, et qui consiste à faire réagir un corps gras avec un alcool (méthanol ou éthanol) pour obtenir un ester d’acide gras.L’introduction de l’additif ainsi obtenu dans le carburant Diesel, entraine des avantages techniques : meilleur graissage des pièces mécaniques, réduction des particules et surtout abaissement du point de gel pour les carburants utilisés en hiver.L’incorporation de ces additifs s’effectue dans des proportions variées selon la qualité de carburant que l’on souhaite obtenir.

D’une façon générale, en 2017, 7,7% de l’énergie contenue dans le gazole utilisé en France provenait de ces esters d’acide gras.Les matières premières sont essentiellement des huiles végétales. En 2017 - je n’ai pas de statistiques plus récentes – il s’est agi de colza pout 75%, de soja pour 5,5%, de tournesol pour 3,7% et d’huile de palme pour 14,93% .

Récemment, les choses se sont quelque peu compliquées en ce sens que la Société Total a été autorisée à importer 300 000 tonnes d’huile de palme pour son usine en construction à Mede dans les Bouches du Rhône.Or vous savez la guerre que les écologistes mènent contre la culture des palmiers à huile en Indonésie, culture qu’ils rendent responsable de 2/3 de la déforestation mondiale.Le débat fait rage à l’heure actuelle et vous en serez tenus informés par vos journaux préférés. Donc je n’insiste pas

.B – L’ETHANOL POUR LES MOTEURS A ESSENCE

Il s’agit d’un produit très bien connu, l’alcool éthylique, que l’on fabrique depuis longtemps pour les besoins de l’industrie chimique ou des usages ménagers. Quand on retire les quelque 8 % d’eau qu’il contient, à sa sortie de fabrication, il prend le nom d’éthanol. Dans les informations que je vais essayer de vous donner, j’emploierai les mots alcool et éthanol avec la même signification.

En France, il y a plus d’un siècle qu’existent des usines fabricant de l’alcool à partir de betteraves sucrières. Plus récemment a démarré la production à partir de céréales (à peu près 50/50 à l’heure actuelle). Aux Etats-Unis on transforme le maïs et au Brésil la canne à sucre.

L’emploi d’éthanol par incorporation à l’essence n’est pas non plus une nouveauté. Les premiers moteurs ont été conçus pour tourner à l’alcool et être graissés aux huiles végétales. En 1925 encore, Henry Ford déclarait : l’alcool éthylique est le carburant du futur.Chez nous, au sortir de la dernière guerre, les autobus parisiens fonctionnaient avec un mélange dit ternaire (70% d’essence, 15% de benzol et 15% d’alcool). Cet emploi a cessé en raison du prix très bas du pétrole et aussi de préjugés, certains hommes politiques rapprochant à tort l’alcool à usage industriel et l’alcoolisme.

L’éthanol est revenu sur le devant de la scène avec la suppression dans les carburants du plomb tétraéthyle. Ceci en raison de son impact sur la santé et surtout du fait qu’il empêchait le fonctionnement des filtres placés sur les pots d’échappement. C’est tout d’abord aux Etats-Unis que l’éthanol est venu se substituer au plomb comme booster de puissance. Cela a permis à la Californie de lutter efficacement contre des épisodes de fog dus à la pollution.

La France a connu la même évolution mais, comme toujours chez nous, les choses se sont avérées plus compliquées notamment en raison, au début, de l’opposition des milieux pétroliers. Mais ceci est du passé et l’emploi d’éthanol dans l’essence est actuellement une réalité.

ETBE

Les sociétés pétrolières produisent des additifs, appelés ETBE, qui sont incorporés à l’essence. Ceux-ci sont obtenus par mélange d’isobutène et d’éthanol (en moyenne 5%).

95 E10

On trouve maintenant, dans la plupart des pompes, de l’essence 95 E10 qui contient, comme son nom l’indique, 10% d’éthanol. Il est prévu que cela devienne le carburant standard européen (à l’heure actuelle, cela représente la moitié de l’essence vendue en France). Seules les voitures construites avant l’année 2000 ne peuvent l’utiliser sauf à connaitre des difficultés techniques.Je suis sure que la plupart d’entre vous ont déjà utilisé ce carburant. Personnellement, je n‘emploie que celui-là.A noter qu’aux Etats-Unis, la quasi-totalité de l’essence contient 10% d’éthanol

.95 E85

Depuis quelque temps, on trouve également, dans certaines pompes, du carburant E85, qui comporte donc 85% d’éthanol. Là aussi, il ne s’agit pas d’une nouveauté : je me souviens, il y a quelque 40 ans, pour une revue professionnelle, avoir décrit le virage pris par le Brésil en ce domaine. Le Brésil continue depuis à utiliser des essences extrêmement riches en éthanol mais sans qu’il s’agisse d’un pourcentage fixe comme chez nous. En effet, lorsque le sucre se vend bien sur le marché mondial, les cannes à sucre sont dirigées vers cette production ; a contrario, lorsque les cours sont en baisse, on force sur la production d’éthanol. A noter toutefois que le pourcentage d’éthanol dans l’essence ne peut être inférieur à 27%.

En France, le démarrage de ce nouveau carburant a été lent mais les choses semblent s’accélérer.Un premier obstacle réside dans le fait qu’il est nécessaire d’avoir des moteurs adaptés à ce nouveau carburant. Il y a belle lurette que tous les fabricants de voiture européens fabriquent ce type de véhicule pour les besoins du marché brésilien mais, jusqu’à présent, très peu étaient vendus sur le marché européen (essentiellement pour des flottes captives).

Récemment toutefois une novation est intervenue : différents dispositifs techniques viennent d’être homologués qui, implantés sur des moteurs standards, permettent d’utiliser l’essence E85. Ils coutent quelques centaines d’euros, ce qui rend la conversion très facile.

Un autre obstacle est le peu de pompes distribuant ce carburant. Actuellement, il en existe 1 600. Là aussi, les choses devraient changer : à terme, il devrait y avoir quelque 6.000 pompes distribuant du E85, ce qui représentera 1/3 des pompes existant sur le territoire français.

L’avantage essentiel de ce nouveau carburant est son prix : il évolue entre 65 et 75 centimes le litre. En effet, la taxe sur les produits pétroliers ne s’applique que partiellement à l’éthanol

Il est également question de commercialiser du carburant E95, c’est-à-dire comportant 95 % d’éthanol. Cet emploi en est à ses balbutiements, c’est pourquoi je ne m’étendrai pas sur le sujet

.Un développement nouveau - qui parait intéressant - est l’utilisation de bio-éthanol pour la fabrication du kérosène des avions. On sait à quel point le transport aérien est accusé de pollution. La France vient d’entreprendre une réflexion sur cette question à laquelle participent Air France, Airbus, Safran, Total et Suez Environnement.

D’une façon générale, en France, en 2017, 7,5% de l’énergie contenue dans les essences était d’origine renouvelable. A l’heure actuelle, on doit approcher 10%.

Toujours en 2017, les matières premières utilisées pour fabriquer du bioéthanol étaient à 92% d’origine française, 6,7% en provenance de l’Union Européenne, le reste, soit 3% venant d’Amérique du Sud.

Pour fixer les idées, indiquons que la production d’éthanol pour la carburation a été, dans le monde, en 2018, de 1,2 milliards d’hectolitres dont 616 millions d’hectolitres pour les Etats-Unis, 642 millions d’hectolitres pour le Brésil et seulement 78 millions d’hectolitres dans l’Union Européenne dont 18 millions pour la France.

DEVELOPPEMENT DES BIO-CARBURANTS

On peut se poser la question suivante : pourquoi l’usage des bio-carburants ne se développe-t-il pas plus vite ? En effet, à l’inverse des autres énergies renouvelables, ils ne rencontrent pas de difficultés techniques : leurs procédés de fabrication sont connus depuis longtemps et leurs modes d’emploi en motorisation sont parfaitement maitrisés.

On se heurte ici à un phénomène tout à fait inattendu : l’opposition des milieux écologiques dont il est difficile de cerner les motivations.

Tout d’abord, les écologistes n’aiment pas l’agriculture moderne et voudraient que l’on revienne à l’agriculture de grand-papa. Utiliser des produits issus de l’agriculture pour produire des carburants leur parait une hérésie.Par ailleurs, ils estiment que les produits agricoles doivent être réservés à l’alimentation d’une population mondiale grandissante.

Là, je voudrais donner un sentiment personnel : déverser des produits agricoles à bas coût dans les pays en développement, c’est leur rendre un très mauvais service. Certes, en cas de famine, il faut intervenir. Mais, le reste du temps, ces produits agricoles à bas prix ruinent les agriculteurs locaux qui viennent ensuite grossir les banlieues misérables des grandes villes

Par ailleurs, lorsque l’on dirige des denrées agricoles vers la carburation, il reste des sous-produits de valeur qui sont très utiles en élevage : la fabrication d’huile entraine la production de tourteaux (la France, chaque année, importe d’énormes quantités de tourteaux), la distillation à partir de betteraves fournit des pulpes très bien valorisées en élevage bovin et la distillation à partir des céréales donne des sous-produits très riches en protéines.

Enfin, les écologistes oublient que, au temps de l’agriculture de grand-papa, une partie de la production agricole était consacrée aux transports. On estime en effet qu’environ 1/3 des surfaces agricoles servait à la nourriture des animaux de trait : l’âne qui tirait la charrette vers le marché ou que l’on chevauchait pour aller voir sa belle, le cheval qui tirait le tombereau ou le carrosse, le boeuf que l’on attelait à la charrue.

A titre de comparaison, les cultures utilisées actuellement pour produire du bioéthanol ne représentent que 3% de la surface agricole française.

Quoi qu’il en soit, les écologistes disposent d’un puissant lobby au niveau de Bruxelles. Il s’en suit que l’Union Européenne a adopté une attitude particulièrement prudente vis-à-vis des bio-carburants.Différentes directives (la dernière en 2018) ont fixé, pour 2030, un objectif pour les transports de 14 % d’énergies renouvelables mais seulement 7% en provenance des ce que l’on appelle des carburants de première génération (c’est-à-dire ceux dont je viens de vous parler).

Selon les mêmes milieux, il faut privilégier l’éthanol obtenu à partir de produits non comestibles, des produits ligneux tels que la paille ou les déchets de bois. On parle alors d’éthanol de seconde génération. Cela parait une idée intéressante. Malheureusement, bien que de nombreux laboratoires travaillent sur cette question, on n’arrive pas, pour l’instant, à mettre au point les techniques appropriées au niveau industriel.

Enfin l’un des obstacles auxquels se heurtent les agro-carburants n’est évoqué nulle part : il s’agit de raisons fiscales. De tout temps, la puissance publique a prélevé des impôts sur les produits dont les gens ne pouvaient se passer. Au Moyen-Age, il y avait un impôt sur le sel, c’était la gabelle. De nos jours, il existe des taxes importantes sur les produits pétroliers.

Or, il semble difficile de prélever des taxes identiques sur des produits issus de l’agriculture et en particulier l’agriculture locale. D’où une certaine réticence de la puissance publique. A noter toutefois que les services du ministère des Finances phosphorent en permanence – et souvent avec succès - pour appliquer à l’éthanol des taxes diverses.

CONCLUSION

J’aurais pu vous parler aussi de la fabrication de gaz au niveau de certaines fermes par fermentation de déchets agricoles. Les agriculteurs français ont de nombreux projets dans ce domaine mais ceux-ci sont souvent retardés par des administrations tatillonnes.En tout état de cause, Il faut conclure

Lorsque l’on parle d’énergies renouvelables, on pense très rarement aux agro-carburants. Pourtant, ils occupent une place importante venant en troisième place derrière le bois énergie (39,6%), l’hydraulique (16,7%) en représentant environ 10% des énergies renouvelables.

A noter toutefois que les agro-carburants ne pourront jamais remplacer, dans les transports, la totalité des produits pétroliers : il faudrait disposer de surfaces agricoles trop importantes. Ils ne sont pas « la » solution mais une solution parmi d’autres.

Toutes devront être mises en oeuvre si l’on veut préserver le climat de la planète et récupérer une certaine autonomie énergétique.