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Si vous souhaitez connaître et apprécier les danses grecques, vous devez tout d’abord oublier les lamentables contorsions d’Antony Quinn dans le film « Zorba le grec » ; cet italo-américain n’a rien compris à l’âme grecque et, en plus, il ne s’est même pas donné la peine d’apprendre les pas de danse.

Il vous faut par ailleurs renoncer à l’idée que le sirtaki est une danse traditionnelle ; c’est très joli mais c’est une invention pour étrangers, lancée par le film « Jamais le dimanche ».

Vous aurez sans doute, dans vos sorties nocturnes, l’occasion de voir des danses grecques ; c’est en général beau et la musique entraînante. Par ailleurs, le théâtre Dora Stratou (au pied de la colline des Muses) donne souvent des spectacles folkloriques de très bonne qualité.

Mais dites-vous bien que vous n’aurez pas pour autant vu de véritables danses grecques. Là-bas, en effet, ces danses ne sont pas du folklore au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire un rappel du passé. Elles font, au contraire, encore partie de la vie de tous les jours, en particulier dans les campagnes.

Pour vous donner l’ambiance, imaginez que, dans une discothèque du Massif central (si, si, il y en a !), les jeunes gens s’exclament « Vivement minuit, qu’on en ait fini avec les rocks et les slows et qu’on puisse enfin danser la bourrée ».

Autre exemple : un de mes amis, avocat à Athènes, a refusé pendant toute sa jeunesse d’apprendre ces danses qu’il considérait indignes de son niveau culturel. Depuis qu’il est marié et père de famille, il s’est fait enseigner tous les pas pour ne pas se sentir isolé dans les réunions amicales et familiales.

Certains spécialistes prétendent que beaucoup de danses populaires proviennent en ligne droite des anciens rites, exemple : danse des porteuses de voile en l’honneur de la déesse Demeter.

Je n’entrerai pas dans ces explications compliquées. Je dirai seulement que nombre de danses sont typiques d’une province donnée mais que quatre sortes de danses sont répandues dans tout le pays.

Il y a tout d’abord les rondes et farandoles auxquelles tout le monde participe, femmes et hommes, jeunes et vieux, en se tenant par les épaules. Le meneur de danse, en commençant lentement, indique les pas qui seront retenus pour toute la danse ; puis il accélère peu à peu et, à la fin, la danse devient tout à fait endiablée, le haut du corps devant toutefois demeurer immobile.

Souvent, le meneur de jeu, qui se trouve en tête, se détache de la farandole et laisse au danseur qui le suit le soin de la conduire. Il se met alors, tout en suivant le rythme, à faire différentes sortes d’entrechats et des sauts d’une vivacité époustouflante puis est repris par la danse collective. Pour ne pas être gêné dans ses mouvements, souvent il ne tient pas directement la main de celui qui le suit, mais le coin d’un petit mouchoir dont l’autre tient également un coin (dans beaucoup de danses régionales, les hommes sont ainsi pudiquement reliés entre eux par l’intermédiaire d’un mouchoir).

Ce type de danse est fréquent dans les fêtes familiales ainsi que dans les fêtes de village, extrêmement nombreuses. Je vous recommande en particulier les fêtes du vin dans l’île de Rhodes, qui occupent tout un mois, la fête se déplaçant chaque jour dans un village différent. Certains prétendent qu’on y retrouve l’atmosphère chaleureuse des anciennes fêtes dyonisiaques. Vous aurez le plaisir d’être les seuls touristes car aucune publicité n’est faite pour ces manifestations, la plupart des estivants restant agglutinés à la fête du vin de la ville de Rhodes, qui est une opération purement commerciale, où l’on boit toutes sortes de liquides plus mauvais les uns que les autres (mais à volonté) et d’où l’on sort tout à fait vaseux.

Les trois autres danses dont je veux vous parler sont exclusivement réservées aux hommes. A noter toutefois que, les femmes s’émancipant en Grèce comme ailleurs, on voit beaucoup de jeunes filles revêtir des pantalons et se lancer dans les danses d’homme, avec en général beaucoup de talent.

La première de ces danses, le Chassapikos, regroupe de deux à cinq hommes qui se tiennent par les épaules et pratiquent des pas extrêmement compliqués, à base de glissements, de génuflexions et de coups de pied en l’air. Beaucoup de touristes essaient de pratiquer cette danse mais doivent y renoncer car elle est très difficile. C’est pourquoi des commerçants habiles, dans la plupart des endroits touristiques, ont ouvert des cours de danse folklorique destinés aux étrangers.

Pour la seconde de ces danses, il peut y avoir un seul danseur ou deux danseurs face à face. Elle est directement inspirée des danses turques. Les danseurs imitent les mouvements du ventre par des contorsions des hanches et les soubresauts de la poitrine par des mouvements de bras. C’est beaucoup moins vulgaire que la danse du ventre effectuée par des femmes mais c’est néanmoins extrêmement érotique.

J’ai eu le privilège, dans un restaurant de Mikonos (où la population grecque fêtait le 15 août en famille et loin des touristes restés sur le port) de voir les fils et les gendres d’un vieux monsieur venir donner de l’argent à l’orchestre pour que l’on joue l’air du grand-père. Celui-ci s’est avancé tout cassé sur la piste mais, quand la musique a commencé, il a retrouvé ses jambes de 20 ans et s’est mis à sautiller, à tourbillonner, à faire des mouvements de hanches et à agiter sont petit mouchoir. C’était une prestation d’une très grande beauté. Malheureusement, quand l’orchestre s’est tu, le vieil homme a récupéré tous ses rhumatismes et sa famille a dû le porter jusqu’à sa chaise.

La dernière des danses que je veux évoquer est aussi la plus connue : il s’agit du Seimbekikos, qui est une danse purement individuelle. Elle comporte un certain nombre de pas mais qui n’ont entre eux aucun enchaînement logique : il s’agit d’une danse expressive d’improvisation. L’homme grec, à travers cette danse, peut essayer d’oublier sa nostalgie foncière ou ses ennuis actuels. Il peut aussi vouloir manifester sa joie. C’est, la plupart du temps, quelque chose de spontané. Ne vous étonnez donc pas si, dans un restaurant quelconque, le juke-box ayant été mis en marche, un homme commence à bondir  et à danser tout seul, selon son impulsion et au gré de son imagination (quelquefois le mégot au coin de la bouche).

Cette danse ainsi que les autres décrites ci-dessus, peuvent aussi un moyen de séduire les femmes (comme le paon fait la roue). On prouve son agilité et la force de sa musculature. Pour cette raison, j’ai vu dans certains bistrots du port, des costauds danser en tenant entre leurs dents une table toute servie dont aucun objet ne tombait.